Histoire

mai 3, 2023

Construire l’appartenance

Emilie Lesage

Programme de logement

Exploration du lien entre le logement abordable, l’espace public et le sentiment d’appartenance.

Le sentiment d’appartenance est l’un des besoins humains les plus fondamentaux. Savoir que l’on dispose d’un endroit où l’on est physiquement et psychologiquement en sécurité, avec des personnes qui nous acceptent pour ce que nous sommes, est essentiel au bien-être. Cependant, pour de nombreux Canadiens, en particulier ceux dont les revenus sont faibles, ce sentiment d’appartenance peut être difficile à atteindre. Le fait de ne pas avoir les moyens de se payer un logement permanent, d’être confronté à la stigmatisation de l’itinérance ou de vivre dans des logements sociaux donne aux gens le sentiment d’être isolés de l’ensemble de la communauté.

Il existe des initiatives qui aident les gens à surmonter l’isolement et l’exclusion sociale. Nous avons parlé avec deux experts du logement abordable qui font partie du comité consultatif du programme de soutien pour le Défi d’offre de logement d’Evergreen et nous leur avons demandé de nous faire part de leur point de vue sur la façon dont une combinaison réfléchie de logements abordables et d’espaces publics peut favoriser le sentiment d’appartenance dans nos communautés.

Jeff Neven est PDG d’Indwell, un organisme sans but lucratif unique en son genre qui compte plus de 1 000 logements abordables (et plus de 1 200 résidents à faible revenu) dans l’ouest de la région du Grand Toronto. Giacomo Valzania est un candidat au doctorat à l’université McGill qui s’intéresse au logement, aux espaces communs et à la transformation des banlieues. Il travaille à temps partiel pour le Groupe CDH, qui a créé plus de 9 000 logements sociaux et communautaires au Québec depuis 1976.

« La mission d’Indwell est d’aider les gens à trouver la santé, le bien-être et l’appartenance. C’est donc un sujet auquel je pense beaucoup, déclare M. Neven. L’appartenance est une relation qui va au-delà de l’individu et s’étend aux voisins et à la communauté. Il s’agit de la sécurité du lieu, mais aussi de la sécurité des relations avec des personnes qui apprécient ce que vous pouvez apporter. »

Les communautés d’Indwell sont conçues pour favoriser l’appartenance

L’objectif de l’organisme est d’offrir dignité et espoir, santé et bien-être, amour et appartenance. On y garde tous ces éléments à l’esprit dans l’approche réfléchie adoptée dans la conception des projets de logement :

  • Les bâtiments sont conçus de manière à être attrayants afin de réduire la stigmatisation dans le quartier.
  • Ils sont suffisamment petits (50 ou 60 unités) pour que les gens puissent connaître leurs voisins, et donc savoir qui devrait (et ne devrait pas) se trouver là.
  • Ces bâtiments comprennent des espaces communs accueillants qui permettent aux gens de passer du temps ensemble sans avoir à dépenser de l’argent. Contrairement à la plupart des immeubles résidentiels, qui sont conçus pour réduire les interactions entre les résidents, les espaces communs d’Indwell encouragent plutôt les contacts, tout en préservant la vie privée et l’indépendance des résidents.
  • Les bâtiments d’Indwell sont également intégrés à la communauté dans son ensemble – beaucoup d’entre eux disposent d’unités commerciales et d’espaces pouvant être loués pour toutes sortes d’activités, comme des réunions d’AA, des réunions Tupperware et des expositions de magnifiques œuvres d’art publiques. L’un d’entre eux dispose même d’une bibliothèque publique.

Les stéréotypes font que les gens s’attendent à ce que ces bâtiments soient délabrés ou remplis de gens dangereux, et M. Neven pense qu’il est essentiel de s’engager auprès de la communauté locale pour changer cette vision des choses.

« Nous nous efforçons d’ébranler les croyances négatives des gens à l’égard des habitants de logements abordables, explique M. Neven. Le fait de vivre et de travailler à proximité les uns des autres réécrit ces histoires. Lorsque des non-résidents viennent dans les espaces communautaires, ils sont surpris. J’ai eu droit à des commentaires tels que “mais c’est si joli” ou “ça ne ressemble pas à un logement social”. »

En fin de compte, c’est en se sentant valorisé et accepté les uns par les autres que l’on crée un sentiment d’appartenance. Et sans espaces partagés et accessibles qui permettent une interaction authentique entre les différents groupes socio-économiques, tout le monde reste dans sa bulle. C’est dans les espaces communs que les gens arrivent à partager.

Les gens ont besoin de la sécurité du logement avant de pouvoir trouver un sentiment d’appartenance

« L’appartenance est liée à la permanence, assure M. Valzania. Les gens doivent avoir la possibilité de rester quelque part à long terme. Mais la façon dont les choses sont structurées aujourd’hui au Canada, l’accessibilité est une condition temporaire. Si les promoteurs veulent bénéficier d’un financement public, ils doivent inclure un certain nombre de logements abordables. C’est très bien, mais au bout de 15 ans, ces logements peuvent être mis sur le marché, et ils ne sont alors plus abordables. L’appartenance et la sécurité du logement sont indissociables. Si l’on est obligé de déménager, l’appartenance disparaît ».

À quoi peuvent ressembler des espaces publics inclusifs?

Les espaces publics peuvent lutter contre l’isolement et favoriser l’appartenance, à condition qu’ils soient délibérément conçus et exploités à cette fin.

« La conception peut contribuer ou nuire au sentiment d’appartenance dans l’espace public, explique M. Valzania. Une conception hostile empêche des comportements tels que s’allonger sur un banc, s’abriter du soleil ou de la pluie, ou simplement s’asseoir et se reposer. Ces espaces ne sont pas utilisés à leur plein potentiel et ils excluent des personnes qui pourraient en bénéficier sans que cela ne leur nuise. La conception accueillante, en revanche, offre des possibilités d’utilisation et d’interaction ».

Il donne un exemple simple d’espace inclusif : une grande plateforme publique qui peut servir de scène pour un concert, de lieu de bronzage, d’endroit où les enfants peuvent courir et s’amuser et où des amis peuvent jouer aux échecs.

  1. Valzania nous invite également à repenser l’idée même de l’espace public par rapport à l’espace privé. Nous avons tendance à considérer que l’espace « public » est un espace appartenant à la ville ou au gouvernement, comme les parcs et les places publiques. Mais il existe de nombreux lieux ostensiblement privés qui ont des usages communs, comme les centres commerciaux.

« Dans les centres commerciaux, on voit des personnes âgées se promener pour faire de l’exercice, ou des jeunes se retrouver dans les aires de restauration pour socialiser, explique-t-il. L’étape suivante consiste à comprendre comment ces espaces “publics privés” peuvent être protégés et utilisés pour créer un sentiment d’appartenance. »

Il en va de même pour les espaces verts autour des copropriétés, des immeubles d’habitation et des entreprises. Souvent, ces espaces ne sont accessibles qu’aux personnes qui y vivent ou y travaillent, et sont souvent inutilisés. M. Valzania souhaite trouver des moyens de les rendre plus accessibles afin que les visiteurs puissent se reposer et profiter de la nature d’une manière respectueuse qui ne diminue pas leur signification ou leur valeur, une considération importante dans nos villes qui se densifient rapidement.

En fin de compte, M. Valzania et M. Neven s’accordent sur un point essentiel : des espaces publics accessibles, utilisables et non commercialisés sont nécessaires pour créer un sentiment d’appartenance au sein de nos communautés. Sans eux, nous vivons tous isolés dans notre bulle, et nous avons du mal à nous définir et à nous comprendre en raison de cette distance.

Il s’agit d’une année transformatrice pour Evergreen, car nous poursuivons notre travail sur l’innovation en matière de logement avec l’étape 2 du quatrième cycle et des projets de préservation d’espaces à travers le Canada. Découvrez-en plus en vous abonnant à notre infolettre.

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