Histoire

novembre 24, 2021

Les nouveaux arrivants au Canada doivent surmonter la discrimination et d’autres obstacles lorsqu’ils cherchent un logement convenable

Damaris Rose, professeure à la retraite en études urbaines au Centre de recherche Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique

Damaris Rose, professeure à la retraite en études urbaines, partage les fruits de sa recherche sur la façon dont la politique québécoise en matière de logement laisse à désirer lorsqu’on parle de nouveaux arrivants au Canada et décrit ce qu’on peut faire à ce niveau.

Le Défi de l’offre de logement, offert par la Société canadienne d’hypothèques et de logement, invite les candidats à proposer des solutions qui réduiront ou élimineront les obstacles à l’offre de nouveaux logements. Evergreen aide les candidats du Défi de l’offre de logement en leur offrant les conseils, le mentorat et les ressources dont ils ont besoin pour préparer et améliorer leur demande.

Evergreen demande aux experts dans le secteur du logement au Canada de partager leurs expériences et de souligner certains des principaux obstacles qui touchent l’offre de nouveaux logements.

Damaris Rose, professeure à la retraite en études urbaines, partage les fruits de sa recherche sur la façon dont la politique québécoise en matière de logement laisse à désirer lorsqu’on parle de nouveaux arrivants au Canada et décrit ce qu’on peut faire à ce niveau.

Les familles qui immigrent au Canada dépendent de plus en plus du marché de la location. Ce phénomène peut s’expliquer par la précarité économique croissante des récentes cohortes d’immigrants à Montréal et par le resserrement du secteur abordable du marché locatif auquel on a assisté dans le Grand Montréal. L’accès au logement représente un problème important et croissant pour les immigrants, en particulier ceux qui sont arrivés au cours des 10 dernières années. Il arrive souvent que le premier logement permanent dans lequel les nouveaux arrivants immigrants emménagent réponde aux exigences de base, mais pas plus, en raison du contexte migratoire et des ressources financières ou de leur connaissance du marché qui sont très limitées.

L’abordabilité du logement : effets profonds sur la population immigrante

Le secteur du logement social (logements publics dont le loyer est adapté au revenu, logements locatifs coopératifs et autres types de logements offerts par des organismes à but non lucratif à des loyers qui sont inférieurs aux coûts du marché) ne rejoint qu’une très faible proportion des foyers québécois, de sorte que l’accès à un logement adéquat sans sacrifier les autres nécessités de la vie dépend de l’abordabilité du logement sur le marché privé (coût du loyer par rapport au revenu). Les immigrants, en particulier ceux qui sont arrivés il y a moins de 10 ans, vivront probablement une insécurité financière plus grande comparativement à la population en général. Un résident sur neuf au Québec gagne moins que le seuil de faible revenu. Cette proportion augmente pour atteindre un sur sept chez les gens qui sont arrivés entre 2001 et 2010 et elle atteint 22,6 % chez ceux qui vivent ici depuis moins de cinq ans.

Un bon nombre d’immigrants au Québec se retrouvent parmi les travailleurs pauvres, parce qu’on ne reconnaît pas leurs états de service et leur expérience de travail à l’étranger. À cela s’ajoute parfois une maîtrise insuffisante du français qui leur permettrait de répondre aux normes exigées par les employeurs. On doit également s’attendre à ce que le faible revenu soit encore plus répandu chez les personnes admises en tant que réfugiés.

La mesure du logement qu’on doit utiliser le plus souvent aux fins de la politique publique est l’indice du « besoin impérieux en matière de logement » qui tient compte de l’abordabilité (le loyer ne coûte pas plus de 30 % du revenu), de la taille suffisante du logement compte tenu de la taille et de la composition de la famille, ainsi que de la qualité du logement en fonction de l’indicateur du besoin de réparations majeures dont on fait état dans le recensement. En 2016, parmi les locataires habitant dans le Grand Montréal, plus d’un foyer sur cinq présentait des besoins criants. Ce taux augmentait à 26,4 % chez les foyers dont le principal soutien économique était un immigrant récent (vivant au Canada depuis moins de cinq ans). Le taux de besoins criants chez les récents immigrants à Montréal varie considérablement en fonction de la catégorie d’admission, alors qu’il augmente à 35 % chez tous les foyers admis en tant que réfugiés (incluant ceux dont la demande d’asile a été déposée et approuvée au Canada) et à 45 % chez les réfugiés qui bénéficient d’une aide gouvernementale ou d’un parrainage privé.

Le surpeuplement : un défi véritable

À Montréal, au même titre que dans d’autres villes d’importance, l’abordabilité représente le principal facteur qui contribue au besoin impérieux d’un logement chez les immigrants et les non-immigrants. Cependant, si l’on compare aux autres Montréalais qui ont un besoin impérieux de logement, les immigrants récents sont plus susceptibles d’habiter dans un logement qui doit faire l’objet de réparations majeures. La promiscuité représente une source plus importante de besoin impérieux chez les immigrants récents et particulièrement au sein des cohortes récentes de réfugiés. Ces dernières comprennent la récente vague de Syriens qu’on a accueillis en 2025-2026 dont plusieurs vivent dans des foyers de familles multigénérationnelles.

D’après les données du recensement de 2016, 31 % des foyers de récents réfugiés comptent six membres ou plus, comparativement à 16 % pour les immigrants récents qu’on a accueillis dans la catégorie économique ou celle de la réunification des familles. Le manque de logements abordables suffisamment vastes, combiné à la faiblesse des prestations mensuelles versées aux familles de réfugiés, a entraîné une tâche herculéenne pour les organismes communautaires et les groupes de parrainage chargés de leur dénicher leur premier logement permanent. De plus, ces familles ont tendance à endurer des conditions de logement surpeuplées pendant bien des années.

Il est également important de préciser que les immigrants sont plus enclins à vivre au sein de familles multigénérationnelles et de familles nucléaires comptant des personnes additionnelles, qu’elles soient apparentées ou non. Ce sont là des expressions de solidarité familiale, culturelle et économique, comme c’était le cas pour les premières cohortes d’immigrants provenant des pays méditerranéens. Cependant, en raison des difficultés d’intégration économique et de la hausse des prix du logement, ces familles risquent de vivre dans des conditions de surpeuplement.

L’impact de la pandémie

Enfin, la pandémie de COVID-19 nous a fait réaliser l’importance des conditions de logement au niveau de la santé personnelle et publique. On constate un risque accru de transmission lorsqu’il devient impossible de s’isoler à l’intérieur d’un logement surpeuplé. Le surpeuplement résidentiel s’est ainsi révélé être un facteur de risque additionnel. Tel est particulièrement le cas des foyers dont les membres travaillent dans les services essentiels, ce qui est souvent le cas des immigrants et des demandeurs d’asile. S’il s’agit d’un foyer multigénérationnel, le risque est encore plus grand pour les aînés qui habitent à l’intérieur d’un logement surpeuplé et dont les proches travaillent à l’extérieur de la maison. En ce qui concerne la santé mentale, le stress associé à des cycles prolongés et répétés de confinement augmente pour les individus et les familles habitant dans des logements surpeuplés et qui n’ont pas accès à des espaces privés à l’extérieur où ils peuvent se détendre ou s’amuser. Ainsi, les iniquités en ce qui a trait à la qualité du logement et de l’environnement résidentiel immédiat contribuent aux iniquités sociospatiales de la pandémie, dont les effets à Montréal et dans d’autres grandes villes ont été ressentis davantage dans les districts où l’on trouve une densité élevée d’immigrants récents et de minorités racialisées.

Obstacles particuliers : les pratiques discriminatoires

De nombreuses études, dont la recherche effectuée à Montréal, démontrent que les immigrants récents, qu’ils soient à la recherche d’un premier logement permanent ou qu’ils espèrent accéder à un logement de meilleure qualité, doivent souvent surmonter des obstacles qui débordent de la capacité financière ou du manque de logements abordables correspondant à la taille de leurs familles. L’absence de références ou de cotes de crédit canadiennes représente souvent un obstacle. Ainsi, les propriétaires exigent souvent un dépôt considérable ou un contresignataire pour le logement, ce qui représente un défi important pour les personnes sans famille ni amis qui vivent déjà au pays. De plus, un nombre alarmant de nouveaux arrivants ont des problèmes de logement en raison de la discrimination basée sur leur statut d’immigrant, en particulier les chercheurs d’asile, ou sur l’origine ethnique. De telles pratiques de la part des propriétaires, qui sont illégales en vertu de la Charte des droits de la personne au Québec, prévoient même d’autres restrictions quant aux choix de logement et augmentent le risque de vivre dans un immeuble mal entretenu ou qui ne répond pas aux normes.

Que peut-on faire?

Au Québec, un vaste réseau expérimenté d’organismes communautaires offre des services dans le but de surmonter les obstacles entourant l’accès à un logement décent et abordable. Entre autres choses, ces organismes collaborent avec les propriétaires plus accueillants, tiennent des listes de logements disponibles, expliquent aux clients le fonctionnement de notre système de logement, qui peut sembler opaque, et prodiguent des conseils aux personnes qui leur font part d’un problème au niveau du logement. Malgré leur dévouement, les organismes communautaires ne parviennent pas à rejoindre tous les clients possibles. Ainsi, il arrive souvent que les immigrants économiques et les chercheurs d’asile se tournent vers les réseaux informels de la même origine ethnique pour obtenir de l’aide ou des conseils en matière de logement. Il se peut que cette information soit moins fiable ou complète.

Il existe des politiques qu’il est possible de mettre en œuvre et qui répondent aux enjeux et aux défis énoncés ci-dessus. À tous les paliers de gouvernement, il est important de prioriser la réhabilitation du parc de logements locatifs qui ne cesse de se détériorer. Lorsque les quartiers s’embourgeoisent, on recommande de transférer ces immeubles à des fournisseurs de logements sociaux pour éviter les rénovictions.

La planification de nouveaux logements devrait comprendre des appartements plus vastes et abordables et des habitations en rangée, comptant trois ou quatre chambres à coucher, pour ainsi tenir compte des situations variées des ménages chez les immigrants, comme les familles comptant plusieurs enfants ou plus de deux adultes, incluant les familles multigénérationnelles.

Pour certains nouveaux arrivants dont la situation est très précaire, incluant certains réfugiés, l’accès à un logement public représenterait la situation la plus durable en matière de logement abordable et adéquat. Cependant, le Québec impose un autre obstacle aux immigrants récents en exigeant qu’ils résident au Canada pendant un an avant de pouvoir s’inscrire sur la liste d’attente d’un logement public. Il est possible de réduire cette période, comme c’est le cas de l’Allocation canadienne pour enfants, à laquelle les familles d’immigrants sont admissibles après trois mois.

Les récentes vagues de réfugiés et de chercheurs d’asile sur de courtes périodes et dans un contexte de rareté extrême de logements abordables adaptés à la taille de leurs familles ont entraîné des défis majeurs pour les organismes communautaires qui leur viennent en aide. Cette situation a révélé le besoin de logements semi-temporaires, auxquels les nouveaux arrivants seraient admissibles pendant environ deux ans. Ce modèle a déjà connu du succès à Winnipeg.

Emménager dans un logement décent et abordable, situé dans un quartier accueillant et sécuritaire, représente une première étape essentielle à l’établissement des nouveaux arrivants dans ce pays. Plus qu’un simple toit, le premier logement permanent permet d’organiser la vie quotidienne et d’accéder aux services qui favorisent l’intégration. La politique publique doit être le reflet d’un tel besoin.

Cet article représente une version modifiée d’un article rédigé en français pour « Les nouveaux cahiers du socialisme ». Voyez un examen de la politique complète ici, en anglais.

Cette recherche a été réalisée dans le cadre de Building Migrant Resilience in Cities – Immigration et résilience en milieu urbain (BMRC-IRMU), un partenariat de recherche en Ontario et au Québec, qui a été créé par l’Université York et de nombreux partenaires avec l’aide de la subvention no 895-2016-1004 du Conseil de recherches en sciences humaines du gouvernement du Canada. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles de l’auteur.

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